Kim Pil Ju : l’ambassadeur d’une nouvelle génération d’artistes

A notre époque, plus de 27 000 défecteurs
ont quitté la Corée du Nord. Ils ne s’installent pas qu’en Corée du Sud mais
aussi aux Etats-Unis, au Canada, en Europe, etc. En s’installant dans chacun de
ces pays, ils deviennent des exemples pour le peuple nord coréen, et leur donne
une image positive de la société sud coréenne.
Cependant, le nombre de défecteurs qui n’arrivent pas à s’habituer à la vie à l’étranger
et retournent s’installer en Corée du Nord n’est pas des moindres non plus. A
travers des exemples de réfugiés qui vivent bien leur intégration dans la
société sud coréenne, nous voulons donner une image positive des réfugiés à nos
lecteurs Coréens et étrangers.

Vivre de son art est un rêve qui est
difficilement réalisable dans le monde actuel. Cependant, il y a toujours de
grands passionnés qui croient et prouvent leurs convictions sur scène. En Corée
du Sud, où le gouvernement n’a mis en place aucun système de subvention, être
artiste professionnel est presque impossible pour ceux qui sont d’origine
modeste. Les défecteurs sont connus pour avoir quitté leur pays sans aucun
moyen et doivent travailler dur pour s’adapter à la Corée du Sud. Ils se battent
pour un travail, en dépit de l’éducation différente qu’ils ont reçu. Ils se
battent pour le respect de leur situation et leur intégration. Ils se battent
pour comprendre la société capitaliste et pour le succès.

Exemple d’un défecteur qui se bat pour la
réunification, par l’art et avec succès :

Kim Pil Ju (30 ans) a découvert le théâtre
en 2012, par l’aide d’un professeur de théâtre de l’Université Jungang, qui
voulait créer une pièce avec des défecteurs, mettant en scène une révolution
sous-terraine contre le pouvoir nord coréen. La pièce, nommée ‘Jeongmyeong’ , a
été présentée au théâtre Samilro à Myeongdong (Séoul).

A cette époque, Kim Pil Ju vivait comme
n’importe quel défecteur, de petit boulot en petit boulot. Il ne savait même
pas ce qu’était le théâtre. Il parle de cette opportunité : « Je ne
suis pas devenu acteur parce que je le voulais ou que j’avais du talent. Je le
suis devenu parce que j’ai relevé le défi de faire mieux connaître la condition
des Nord Coréens au public sud coréen. Je m’en sens le devoir. Quand j’ai reçu
cette proposition, j’ai pensé que le théâtre serait un bon moyen de le
réaliser. Avant cela, je ne m’intéressais pas au théâtre. Je n’ai jamais vu de
pièce en Corée du Nord. J’ai seulement vu un opéra révolutionnaire à la télévision. »

Le défi qu’il a relevé est un exemple du ppalli-ppalli
(empressement déraisonné) représentatif de la Corée du Sud, qui peut être vu
comme anti-artistique dans d’autres pays. Il a ainsi dû “apprendre le théâtre”
et créer un spectacle professionnel en 3 mois, montre en main. Il a reçu une
formation physique et vocale intensive, ainsi qu’une « brève formation
théorique sur des généralités du théâtre et plus particulièrement sur le
réalisme ». Il parle de sa première approche du théâtre : « J’ai immédiatement
découvert un charme incomparable au théâtre. Le fait incroyable de donner vie à
un personnage imaginaire par mon corps. Ce personnage devient moi et je le sens
à l’intérieur, même s’il n’existe pas pour de vrai. Je deviens quelqu’un qui
n’est pas moi et j’essaye de vivre avec pendant un court moment. Le fait que je
peux le faire exister est vraiment exceptionnel ».

Il s’est préparé à interpréter ces
personnages en étudiant la psychologie des défecteurs (en particulier leur état
d’esprit à leur arrivée en Corée du Sud), afin de les exprimer correctement sur
scène. « Pour moi, le plus important était de donner vie aux voix de mes
camarades défecteurs”. Il précise que ce dernier point était le plus tortueux,
mais que s’il pouvait rejouer la pièce, ce serait avec plaisir. Jeongmyeong est
la pièce qu’il a eu le plus de plaisir a jouer. Non seulement car elle était sa
première expérience scénique mais aussi parce qu’il voit le rôle qu’il
interprétait comme son « moi caché ».

Evidemment, tout n’a pas été rose et il
mentionne les diverses difficultés de cette expérience : « Une des
difficultés primordiales était de jouer naturellement. Dans Jeongmyeong, nous
devions pleurer sur scène. Il y a plusieurs cas où les larmes ne sont pas
venues. Pleurer ouvertement est la chose la plus difficile. Généralement, les
défecteurs ne pleurent pas. Nous avons regardé des films sud coréens
mélodramatiques pour nous faire une idée, mais nous étions trop froid. Ou
plutôt tenaces, dû à tous les événements que nous avons traversé. Evidemment
que nous pleurons quand nous y pensons, mais nous avons pris l’habitude d’être
forts devant les autres. Notre pudeur et notre intégrité nous dit de ne pas
pleurer en public, donc quand nous devons montrer nos larmes, elles ne sortent
pas. Les autres défecteurs ont aussi trouvé des difficultés à rester naturels
dans les mouvements et les dialogues. C’est difficile de trouver l’énergie qui
convient. Et tout cela en seulement trois mois ! ».

Kim Pil Ju ajoute que, malgré les
difficultés, le théâtre l’a beaucoup aidé dans sa vie quotidienne et son
intégration en Corée du Sud. « Le théâtre a eu un effet thérapeutique dans
ma vie. Je suis du genre à ne pas exprimer mes sentiments dans la vie de tous
les jours. Même quand je suis en colère, je garde tout à l’intérieur.
Maintenant, j’utilise cette colère et la transforme en personnage. Cela m’a
aidé à amener la paix dans mon cœur ».

Depuis, il a aussi joué dans Ijungsayeong en
2013 et Ojaggyo en 2014. Il ajoute qu’il n’est pas un acteur professionnel pour
autant. « Premièrement, je n’ai pas été payé pour les pièces dans
lesquelles j’ai joué, contrairement aux acteurs sud coréens professionnels qui
jouaient avec moi. Je l’ai fait pour moi, et pour les défecteurs que je voulais
représenter. Je reçois maintenant une rémunération pour mes activités chez NamBuk
Donghaeng. Je n’ai pas l’ambition de devenir un acteur professionnel, parce que
le théâtre en Corée du Sud est un domaine difficile qui demande beaucoup
d’investissement. Les acteurs courent d’audition en audition et sont obligés de
faire des petits jobs inintéressants pour combler le trou. La compétition est
très rude. Il y a tellement d’acteurs plus expérimentés que moi que je n’aurai
aucun moyen de survie dans cette concurrence. Je vois la vérité en face. La vie
de théâtre n’est pas paisible ».

Kim Pil Ju travaille actuellement pour NamBuk
Donghaeng, en tant que conseiller. C’est une organisation pour la réunification
qui vise les adolescents. Il donne la priorité à ce travail qui le passionne.

Il ajoute toutefois qu’il aimerai continuer
le théâtre s’il avait de nouvelles opportunités et même jouer dans des pièces
sans rapport avec la Corée du Nord. Pour cela, il sait qu’il a besoin d’une
formation plus élaborée, notamment à cause de son accent et son manque
d’expérience. Je ne sais même pas quel personnage me convient, et je dois
effacer mon accent nord coréen ! Quand je parle, même en faisant des
efforts, je ne peux pas le supprimer entièrement. C’est pour ça que je ne
trouverai pas d’autres rôles que des nord coréens. Ce n’est pas que je ne suis
pas passionné. Ça et la situation financière… Ce sont les raisons pour
lesquelles il n’y a pas d’acteurs nord coréens professionnels au Sud. » conclue-t-il.

Un air de regret se laisse entendre dans sa
voix car, bien qu’il les apprécie généralement, il trouve que les pièces sud
coréennes sur la Corée du Nord exagèrent souvent la situation.

D’un autre côté, il s’exprime quant à l’art
nord coréen, même s’il précise ne pas en être spécialiste : « Les théâtres
du Nord et du Sud sont très différents dans la façon dont les sentiments sont
exprimés. En Corée du Nord, il n’y a pas de liberté d’expression comparée au
Sud. Je vois le théâtre du Sud comme très libre et varié. Les exemples que je
garde en tête sont les chanteurs de Trot (Pop à destination d’un public au delà
de 50 ans). Ils bougent avec enthousiasme et battent le rythme sans se soucier
de leur âge élevé. En Corée du Nord, un chanteur chante debout sans bouger.
C’est la manière d’exprimer ses sentiments. »

Kim Pil Ju ne le voit pourtant pas d’un
mauvais œil : « Je ne suis pas en train de dire que je n’aime pas les
arts nord coréens. Au contraire, j’ai une sorte de fierté par rapport à eux. Le
théâtre sud coréen montrent des situations de la vie quotidienne de façon
beaucoup trop réaliste, telles que l’on peut les voir dans la rue. En revanche,
le théâtre nord coréen est riche en couleurs et en performance. L’opéra
révolutionnaire par exemple, est une vraie comédie musicale avec de la danse,
de la musique, du théâtre, etc ! Je pense que ce que l’on appelle ‘art’
est plus proche de ce qui est produit en Corée du Nord.

Il ajoute : « Je n’ai jamais rencontré
ni vu d’artistes en Corée du Nord. Je ne sais donc pas grand chose à propos de
leurs vies, mais je pense qu’elles ne sont pas différentes. Si vous pensez que
la Corée du Nord est différente, c’est n’est qu’à cause de l’idéologie du Juché. Les
artistes ne sont pas différents d’autres artistes ».

Kim Pil Ju doit avoir raison, tous les
artistes ont la même identité, et ce qu’il ajoute sur son meilleur souvenir de
scène le confirme : « Je me souviens de l’excitation de toute
l’équipe dans les coulisses avant chaque spectacle. Les cœurs palpitent, on a
le trac, on tremble tous ensemble, les sentiments débordent. Le meilleur moment
est quand le spectacle finit et que nous recevons les applaudissements, que la
représentation ait été bonne ou mauvaise. Nous allons aussi saluer notre
public. C’est très émouvant.

Il ajoute : « Il n’y a rien que je
puisse apprendre aux acteurs nord coréens, qui en savent beaucoup plus que moi
et sur le théâtre et sur la Corée du Nord. Mais si j’ai une demande pour eux,
c’est qu’ils écrivent en secret des pièces qui parlent de ce qu’ils pensent en
leur fort l’intérieur. J’aimerai qu’ils écrivent des pièces qui ne mentionnent
pas l’idéologie du Juché, mais qui parlent de leur vie quotidienne et leurs
sentiments, quelque chose de réaliste, que nous jouerons ensemble dans une
Corée unifiée ».

Il conclue en disant que le théâtre est un
des éléments nécessaires, parmi la culture et l’art en général, qui
peuvent  mener à la
réunification. « Mon souhait est qu’il y ait de plus en plus de
pièces de théâtre sur la Corée du Nord et apporte de la force pour la
réunification ».