La danse, la liberté

Entre les réalisateurs (voir article sur
Kim Kyu Min) et les acteurs (voir article sur Kim Pil Ju), les réfugiés qui
considèrent que l’art leur a sauvé la vie et qu’il peut mener à la
réunification sont de plus en plus nombreux. La scène en particulier, est un
moyen privilégié d’expression de leur identité et de la liberté qu’ils revendiquent.
Dans le cas de la danse, quelques groupes de réfugiés nord coréens créent des
spectacles purement folkloriques, qui mettent l’accent sur un divertissement
poétique et émouvant.

D’une troupe à l’autre, un répertoire de
mêmes numéros est interprété de façon singulière. Il est composé de danses
typiques de Corée du Nord telles que « muldongi chum », « le
festin des saisons », la danse des « marionnettes », « la
jeune fille et la cruche », « à la fontaine », etc. Ces danses
sont tantôt interprétées en groupes de manière très synchronisée, tantôt en duo
ou trio accompagnées d’une réelle mise en scène théâtrale. Les danses de
masques (Talchum) par exemple, sont très populaires, telle que « le Yangban
pris dans un sac ».

Le public peut voir un aperçu de
l’évolution de la danse après la séparation à travers la fameuse danse des éventails.
Elle est présentée selon la chorégraphie traditionnelle « Buchae
chum », puis selon l’adaptation et les variantes qui ont été créées au Nord
dans « Jaenggang » et « Sadang ». Un répertoire de danses
de tambours nord coréennes (Kyeonggo, « Samgomu » Buk…) est
également présenté, en parallèle de danses de tambours sud coréennes.

Enfin, dans un large répertoire de chansons
folkloriques telles que« Dojari », « Arirang Nangrang »,
« Mère », des chansons nostalgiques sur les familles séparées sont
présentées, telles que « Nous nous retrouvons ».

Bang So Yeong, représentante de la
compagnie de la réunification Nord Sud (NamBuk Hana Tongil Yesuldan) spécifie que,
dans le cadre d’un spectacle donné pour l’animation du 49ième anniversaire de l’organisation
féminine Soroptimist en Corée, « la compagnie reçoit des subventions car
les spectacles seuls ne permettent pas de gagner assez d’argent ». Pour
remédier à cette situation financière, la troupe a projet « de s’installer
dans un business stable ». Elle explique : « Je vais ouvrir un
restaurant de nouilles froides de Pyongyang en automne et investir l’argent
pour mon groupe de danse. J’ai une petite fierté, qui est celle d’avoir
fabriqué de mes propres mains les meilleures nouilles froides de l’élite de
Pyongyang. C’est aussi en mangeant que les gens peuvent expérimenter la culture
nord coréenne ».

La culture, Bang So Yeong est née pour en
être l’émissaire et elle fixe comme but à ses danseuses « de jouer un rôle
d’éponge une fois la Corée unifiée ». Elle pense que c’est justement les
groupes de femmes réfugiées qui peuvent changer la situation et mener à la
réunification en « prenant le contrôle ». Elle explique :
« Le plus important est de préparer la réunification. Si elle survenait là
maintenant alors que tout le monde se contente de sa petite routine, ce ne
serait pas préparé du tout ! Ceux qui veulent la réunification, ce sont
justement les groupes de réfugiés comme nous. C’est donc à nous de faire des
actions, en nous intégrant dans la société, puis en améliorant l’entente entre
les deux peuples, par les spectacles par exemple ».

NamBuk Hana Tongil Yesuldan laisse
entrevoir une réunification heureuse, un aperçu des retrouvailles qui met en
avant l’appartenance à un même peuple coréen à travers les paroles de leur
chanson de bienvenue : « tous nos frères et soeurs, nous sommes
enchantées ». Bang So Yeong affirme que la priorité est de « prouver
aux Sud Coréens que la culture nord coréenne n’est pas différente de la leur ».
Cela passe aussi par le choix de ses artistes : « Dans notre groupe,
il n’y a que des dames d’un certain âge. Nous voulons montrer que des ajumma
comme nous aussi peuvent monter quelque chose de bien » explique Bang So
Yeong.

Bang So Yeong présente son point de vue sur
les artistes en Corée du Nord. « Leur situation est pitoyable et
malheureuse. Ils ne sont que des outils de propagande de l’Etat. Ainsi, ils ne
reçoivent que le salaire et la nourriture que leur donne l’Etat et ils
souffrent de la faim. Tout est contrôlé par l’Etat, ils n’ont pas de liberté.
Ils reçoivent un entraînement excellent dès l’enfance, mais ne peuvent pas
l’utiliser à leur juste valeur. Il n’y a que des scènes censurées, c’est le seul
point faible de l’art en Corée du Nord ».

Si Bang So Yeong voit une méthode pour
remédier à leur pauvreté, celle « d’avoir l’autorisation de faire des
spectacles à l’étranger », elle pense que les artistes sont incapables de créer
une forme de spectacles alternative et rebelle. Elle explique « C’est
imposible. Tous les spectacles sont créés pour glorifier les Kim. Si un
minuscule mouvement contestataire se fait ressentir, il est immédiatement
arrêté et ses responsables emprisonnés. De plus, les artistes ne peuvent pas le
cacher car, alors que les travailleurs communs n’y sont soumis qu’une fois par
semaine (tous les samedi), le ministère de la culture organise deux fois par
semaine des séances pour que les artistes rendent des comptes sur leurs faits
et gestes et rapportent ceux de leurs camarades.

NamBuk Hana Tongil Yesuldan présente
également un trio de danse d’éventails nord coréen. Les troupes de réfugiés
n’ayant que très rarement des artistes hommes, les femmes interprètent les
rôles d’hommes. Ceux-ci sont présentés en costumes bleu, tandis que le
personnage de la femme est en rouge. Un jeu s’installe entre les deux hommes et
la femme. Le bleu représentant généralement le Sud et le rouge représentant le
Nord, on peut y voir là le symbole des deux Corée réunies qui se donnent à un
jeu artistique. La touche nord coréenne est ajoutée à la danse dans les
dizaines de tours qui sont enchaînés.

La chanson la plus représentative des
spectacles de réfugiés est « Arirang », chanson de l’unité du peuple
coréen. La compagnie NamBuk Hana Tongil Yesuldan en fait une interprétation
authentique, mixant plusieurs versions du Nord et du Sud. Les tons très aigüs
sont représentatifs des Arirang chantés au Nord, les tons plus théâtraux étant
représentatifs des Arirang chantés au Sud. Bang So Yeong justifie son
choix : « La plupart des groupes de danseuses nord coréennes copient
un spectacle tel qu’il est présenté en Corée du Nord pour seul but de montrer.
Moi, je pense différemment, j’ai pour but de créer une scène où les Sud Coréens
peuvent applaudir avec nous. N’est ce pas ça une vraie scène unifiée ?
C’est pour cela que j’ai crée un numéro mélangeant les versions de Arirang du
Nord et du Sud. Vous savez que Arirang est une chanson qui concerne les peuples
du monde entier ? J’ai créé une scène que l’on peut partager ».

NamBuk Hana Tongil Yesuldan appuie donc sur
le côté international. Cette idée est reflétée à travers la fameuse danse des
saisons. Cette danse moderne nord coréenne reprend les bases des numéro de
magie de changements de costumes rapides (voir l’article sur Moranbong). NamBuk
Hana Tongil Yesuldan met en scène la chorégraphie sur la chanson Lettonienne D
āvāja Māriņa meitenei mūžiņu. Cette chanson, reprise par Shim Su bong (Baekmansongi jangmi), a
connu un succès phénoménal en Corée du Sud en 1997. La danse, présentée par NamBuk
Hana Tongil Yesuldan comme « représentative de la liberté Sud Coréenne »,
montre les quatre saisons avec des robes de couleurs bleues, jaunes, roses et blanches.
Une particularité apportée par la troupe est l’abeille, qui en apportant une
touche comique, symbolise notamment la liberté de circuler par son
virevoltement entre les fleurs et son butinement.

La troupe a pour but de développer cette
scène encore peu présentée. Bang So Yeong conclue avec brillance :
« Nous devons devenir des pionniers grâce à la scène. Pour cela, nous
étudions, nous nous cultivons et nous nous entraînons dur. Nous avons
énormément de choses à faire ! Grâce à nos activités artistiques, nous
pouvons oublier notre condition navrante ».