Des réformes certaines, mais dans quelle mesure ?

Comme l’a déclaré la Présidente sud-coréenne
Park Geun Hye, la réunification est-elle réellement synonyme de jackpot ?
S’il existe un pouvoir suffisamment fort capable de gérer ce qu’il adviendra
avant et après la réunification comme de soutenir l’économie en dépit de l’état
catastrophique de l’économie nord-coréenne, alors la réunification constituera
une réelle opportunité. Toutefois, réunir les deux Corées, séparées depuis plus
d’un demi-siècle, n’est pas chose aisée. Demeurer confiant envers la
réunification est nécessaire, mais comprendre les aspects tant positifs que
négatifs qui l’accompagneront est tout aussi primordial.

À cette fin, Daily NK publie des extraits d’un
ouvrage récent intitulé « Unification Strategies Under Sudden Changes in
North Korea », co-écrit par Kim Young Hwan, chercheur en chef au Network
for North Korean Democracy and Human Rights, Oh Gyeong Seob, chercheur au
Sejong Institute, et Ryu Jae Gil, secrétaire général au think tank Zeitgeist.
Cette série de 40 extraits permettra d’approfondir et d’offrir une connaissance
accrue des questions relatives à la réunification des deux Corées.

Le fait que Kim Jong Un se soit engagé dans un
certain degré de réforme et d’ouverture est quasiment certain (cf. infra les
raisons justifiant cette opinion). La question qui demeure est toutefois celle
du rythme et de la portée de ces réformes. Kim Jong Un tente d’émuler son
grand-père, Kim Il Sung, plutôt que son prédécesseur de père, Kim Jong Il, et
se présente comme un chef jeune, ouvert, et enclin aux réformes. Ainsi, par
exemple, l’exécution de son oncle Jang Song Thaek a été rendue publique. De
même, il n’hésite pas à accompagner son épouse, Ri Sol Ju, à des événements
publics, ou à révéler des informations relatives à sa santé.

La réalité saisissante de la Corée du Nord ne
peut être interprétée de façon adéquate si l’on pense le régime incapable de
mettre en œuvre une politique d’ouverture et de réformes, et que l’on estime
que cette politique est d’emblée vouée à l’échec. Des signaux clairs indiquent
que le leadership nord-coréen engage des réformes à un rythme plus soutenu que
celui auquel on pouvait s’attendre. Dès lors, désormais, il est plus approprié
de s’interroger au sujet de la vitesse et de l’ampleur des réformes, et de leur
atterrissage en douceur, plutôt que de l’existence même de réformes.

Depuis septembre 2014, la Corée du Nord connaît
des changements rapides et significatifs. Mais avant de mentionner les efforts
de Kim Jong Un vers plus d’ouverture et de réformes, les auteurs examinent la
situation du pays – des années 1990 jusqu’à maintenant – en la divisant en
quatre périodes.

– Période 1 (1991-1999) : situation
d’urgence et lutte pour sortir de la crise.

La famille dirigeante ainsi que, plus
largement, le leadership, ont éprouvé un sentiment de frayeur lors de la chute
du communisme et de l’exécution du dictateur roumain Ceaușescu. Par ailleurs,
le régime s’est trouvé totalement isolé et a fait face à une menace croissante
de guerre due aux liens diplomatiques tissés entre la Corée du Sud et la
Russie, ainsi qu’entre la Corée du Sud et la Chine, et à son premier essai
atomique. Le pays a pu éviter la guerre en signant l’Accord Cadre de Genève,
mais la mort soudaine de Kim Il Sung en 1994 et la famine ayant suivi ont
menacé l’existence même du régime. Face à une telle situation, Kim Jong Il
instaura la loi martiale, partie intégrante de sa politique de « l’armée
d’abord », et adopta la stratégie de la corde raide dans ses relations
avec les États-Unis et la communauté internationale. Cette politique lui a
permis de conserver le pouvoir.

– Période 2 (2000-2005) : résolution de
la situation d’urgence et début des réformes

Grâce à l’amélioration des relations avec la
Chine à la fin des années 1990 et le Sommet inter-coréen de 2000, Pyongyang est
parvenue à stabiliser la situation politique. Ayant gagné en confiance, Kim
Jong Il a alors lancé quelques réformes entre 2002 et 2005. Les Réformes de
Gestion économique du 1er Juillet furent lancées en 2002 et la Zone économique
spéciale de Sinuiji créée en septembre de la même année. Un groupe d’étude
économique s’étant rendu en Corée du Sud désigna en octobre le mont Geumgang
« zone touristique ». La Région industrielle de Kaesong fut quant à
elle créée en novembre.

– Période 3 (2006-2010) : revirement de
la politique d’ouverture et de réformes.

Durant la période 2006-2010, Kim Jong Il
montra des signes de retour vers une politique de contrôle renforcé de la
population par crainte des conséquences inattendues de la politique de
libéralisation économique menée jusque-là. À cette fin, 2006 vit une poussée en
avant de la politique nucléaire et 2009 une réforme monétaire, le tout
accompagné d’une répression accrue à l’encontre des marchés.

– Période 4 (2011-présent) : l’accession
de Kim Jong Un au poste de chef suprême, mouvements imprévisibles, et retour
aux réformes.

De 2011 à 2014, Kim Jong Un fut déclaré chef
suprême à la suite du décès brutal de son père. Ses décisions politiques se
sont avérées inconsistantes depuis lors, suscitant peurs et inquiétudes. Dans le
même temps cependant, le nouveau chef a introduit plusieurs réformes, en
commençant par les « Mesures du 28 Juin 2012 », lesquelles ont
constitué la base d’un mouvement plus large de réformes. La situation
alimentaire s’est sensiblement améliorée, et le prix du riz comme le taux de
change demeurent relativement stables. L’économie et la vie des gens
s’améliorent, une large part de la population profitant de changements
considérables.

Annonce des Mesures du 28 Juin 2012 et des
Mesures du 30 Mai 2014.

La Corée du Nord a évoqué en 2012 le besoin
d’un « nouveau système de gestion économique propre au pays ».
Concrètement, il s’est agi d’octroyer, à l’essai, une plus grande autonomie
d’action aux entreprises d’État ; version revisitée des mesures adoptées
en juillet 2002. Celles-ci actèrent la réalité de l’émergence d’une économie de
marché ayant commencé à se diffuser dans le pays, mais furent ultérieurement abandonnées
en raison des effets secondaires (considérés comme une menace par l’État).
Après son accession au pouvoir en avril 2012, Kim Jong Un repris les principes
essentiels de cette politique et essaya d’étendre la portée des réformes.

Les Mesures du 28 Juin furent mises en œuvres
à partir de mai 2014, continuant en cela les essais menés pendant deux ans dans
toutes les usines, les entreprises, et les fermes collectives. Lesdites
mesures, initialement annoncées par le Segye Times le 28 juin 2014, furent
confirmées par le même journal le 23 septembre.

Un expert chinois de la politique coréenne a
aussi informé la même publication du fait que la Corée du Nord mettait
également en œuvre, à l’échelle du pays, une nouvelle réforme économique (la
Politique du 30 Mai) accordant une autonomie de gestion à toutes les
institutions, entreprises, et magasins.

Le professeur Jin Jingyi, de l’université de
Pékin, a confié au Segye Times qu’ « il est clair que la Corée du Nord met
en œuvre les mesures du 30 mai. Ce qui est significatif, c’est que ces mesures
seront appliquées à toutes les entreprises et usines, pas seulement à un nombre
limité d’entre elles. »

Dans les colonnes du Hankyoreh, M. Jin a
également noté que « la force motrice du changement en Corée du Nord est
les mesures qui ont libéré le potentiel intérieur du pays. Cette nouvelle
politique octroie l’autonomie à toutes les usines, entreprises, et commerces du
pays. » Selon M. Jin, cette politique peut être considérée comme « la
plus drastique jusqu’à présent, puisqu’elle transfère le contrôle de la
production, de la distribution, et du commerce de l’État vers les usines et les
entreprises. »

« Les fermes sont de plus en plus
réduites en taille, et ont désormais l’autorisation de faire ce qui leur plait
avec les surplus de production », a précisé M. Jin, ajoutant en outre que
le nombre de zones de développement économique était monté à 19, chacune ayant
un contrôle accru des activités économiques et des échanges.

Par ailleurs, le Hyundai Research Institute a
publié le 25 septembre 2014 un rapport relatif aux effets sur le PIB des
réformes agricoles lancées en Corée du Nord. Selon le rapport, ces réformes
sont similaires à celles lancées en Chine en 1978, et permettront d’accroître
le PIB de plus de 7% via l’augmentation de la valeur ajoutée du secteur
primaire. Au cœur de ces réformes se trouvent l’allotissement de 1,000 pyeong
de terre à un bunjo (unité collective de production agricole), et le partage de
la production en 60% (pour l’État) et 40% (pour les individus).*

Le rapport prévoit que ces réformes dans le
domaine de l’agriculture relèveront le taux de croissance de façon
substantielle, étant donné le fait que le taux actuel a été estimé par la
Banque de Corée à tout juste 1% en 2013. L’économie nord-coréenne s’est contractée
de 1% en 2006 et de 1,2% en 2007, avant de rebondir à 3,1% en 2008, et de plonger
à -0.9% en 2009 et -0,5% en 2010. Cependant, la croissance a repris en 2011 et
2012, à 0,8 et 1,3% respectivement.

Le secteur primaire a constitué la part la
plus importante du PIB nord-coréen entre les années 2000 et 2013 (57,5%), suivi
par les services (30,7%), la construction (8,2%), et les fournitures (gaz, eau,
électricité) à 3,6%. Le Hyundai Research Institute prévoit que le PIB du pays
pourrait croître de 7,5% si les réformes gonflent la valeur ajoutée créée par
le secteur primaire de 13%, comme cela fut le cas pour la
Chine. Les estimations ne tiennent pas compte de la possible propagation aux
autres secteurs. À ce rythme, la Corée du Nord pourrait être capable de doubler
son PIB en neuf ans, passant de 30 mille milliards de wons en 2013 à 63 mille
milliards en 2023.

Le ministère sud-coréen de la Réunification a
déclaré que l’application des Mesures du 30 Mai n’avait pas encore été
confirmée ; et que la vérification de leur mise en œuvre par les autorités
nord-coréennes était également nécessaire. Cependant, si cette mise en œuvre
est confirmée, les Mesures du 30 Mai constituent certainement une étape
radicale et significative indiquant que les réformes, en Corée du Nord, battent
leur plein.

* Des sources de Daily NK rapportent une
répartition en 70%-30%