L’endoctrinement idéologique des athlètes nord-coréens.

Bien que les Jeux asiatiques d’Incheon ne
débutent que vendredi 19 septembre, les premiers athlètes nord-coréens arrivés
en Corée du Sud la semaine dernière ont déjà manifesté leur irritabilité à
l’égard des sujets relatifs à la direction de leur pays, prélude à des
problèmes bien plus importants pouvant survenir durant les jeux.

 

L’équipe de football masculine a protesté
contre l’utilisation du terme Bukhan (Corée du Nord) inscrit sur la banderole
de bienvenue sur le terrain d’entraînement de Dongchun-dong, à Incheon,
vendredi dernier. L’équipe a exigé que le terme soit changé en Bukcheuk (le
Nord), ou purement supprimé. Le problème a été résolu par le retrait de la
banderole.

 

La désapprobation, par la Corée du Nord, de
l’utilisation du terme Bukhan lors d’événements officiels vient du fait que le
pays croit que la Corée du Sud l’utilise afin de nier son existence en tant
qu’État souverain, dont le nom officiel est République populaire démocratique de
Corée (RPDC).

 

Les équipes masculine et féminine de football
se sont toutes deux entraînées à huis clos vendredi, prenant des précautions drastiques
en matière de sécurité. Elles ont modifié leur programme de façon inattendue et
bloqué tous les accès aux media, tranchant ainsi radicalement avec la réaction
relativement amicale qu’elles avaient manifestée à leur arrivée.

 

Selon des transfuges, les athlètes nord-coréens
voient leur séjour au Sud  comme
une « confrontation avec l’ennemi », ce qui explique qu’ils reçoivent
un endoctrinement idéologique intense avant de quitter leur pays. Tout contact
personnel avec quiconque leur est interdit, et ont des réponses toutes
préparées. Dès lors, les chances d’entendre de leur part un commentaire
inattendu demeurent très faibles. 

 

Par ailleurs, pour la Corée du Nord, ces événements
sportifs internationaux constituent une formidable opportunité de démontrer la
« supériorité de son système. » Des transfuges affirment que c’est
pour cette raison que les athlètes mènent des actions qui apparaissent
excentriques pour toute autre personne. Dès lors que l’accent est mis sur les
réponses adéquates à apporter à toute critique formulée à l’encontre de la
direction de Pyongyang, des membres de la délégation peuvent manifester des
réactions inattendues à propos de n’importe quel sujet, comme l’utilisation du
terme Bukhan. 

 

Au sein de la délégation se trouvent des
individus dont la tâche est d’interroger les athlètes et les entraîneurs au
sujet de leurs comportements, et qui scrutent tous les mouvements de ces
derniers durant les jeux, qui durent environ deux semaines. Ces surveillants,
appelés « gardes du corps » observent également ce qui, au Sud, peut
dépeindre le Nord sous un aspect défavorable et décident de la réponse adéquate
à apporter. Selon des transfuges, ce faisant, ils se protègent contre les
éventuelles répercussions une fois de retour au Nord, tout en marquant
personnellement des points.

 

Le 16 septembre, Daily NK s’est entretenu avec
un transfuge, ancien membre des services de sécurité du Nord, afin de comprendre
quel type de préparation la délégation nord-coréenne a pu endurer dans
l’optique des Jeux asiatiques.

 

Daily NK : Quel genre d’endoctrinement
les athlètes reçoivent-ils avant leur arrivée en Corée du Sud ?

 

Transfuge : Même si la Corée du Sud et
les États-Unis sont tous deux des États ennemis, les gens reçoivent un
endoctrinement bien plus poussé quand ils doivent se rendre au Sud. On insiste
surtout sur l’éducation des athlètes, auxquels on fait comprendre qu’ils ne
doivent pas se faire d’illusions à propos du Sud. On leur lave le cerveau en
disant des choses du genre « la Corée du Sud peut paraître belle à
l’extérieur, mais à l’intérieur, tout est pourri. » On dit aux athlètes de
considérer que tout ce qu’ils voient et entendent au Sud est quelque chose qui
vient de l’ennemi.

 

On entraîne les athlètes au sujet des réponses
à apporter et de la façon de se comporter lorsqu’ils rencontrent des étrangers.
Ils reçoivent aussi des manuels intitulés « Questions auxquelles
s’attendre et comment y répondre » et on conseille aux sportifs de ne pas
répondre immédiatement aux questions des media, afin que leurs réponses
n’apparaissent pas apprises.

 

Daily NK : Quelles réponses types, par
exemple, trouve-t-on dans ces manuels ?

 

Transfuge : Par exemple, concernant les
droits de l’Homme, il leur est dit de répondre que « la Corée du Nord est
une société qui fonctionne autour de son peuple, et [qu’]il y règne le plus
grand respect envers les droits de l’Homme », et qu’ « il n’y a pas
lieu de s’inquiéter pour ce qui est du travail ou de l’éducation, et [que] tout
le monde bénéficie de la santé et de l’éducation gratuites, et de la liberté
sans aucune inégalité. » Le Nord ne se prive pas de faire de la
propagande, même dans le sport, donc il y a une forte chance pour que les
membres de la délégation soient francs au sujet du caractère supérieur de leur
pays.

 

En particulier, pour ce qui est du sport, ils
diront par exemple « grâce à notre Maréchal [Kim Jong Un] qui a rendu le
sport accessible à tous, quiconque a du talent peut faire du sport ». Ils
vont aussi probablement déclarer que de bonnes infrastructures sportives ont
permis à la population de « profiter d’avantages que le monde entier
envie », et n’oublieront pas de louer le dirigeant pour ses politiques
avisées ayant permis d’obtenir ces résultats époustouflants.

 

Les gens sont aussi préparés à l’avance lors
de réunions de familles séparées, mais l’endoctrinement reçu dans le cadre de
ces jeux a probablement été bien plus intense, parce que lesdites réunions
durent relativement peu de temps et se produisent dans un espace limité, alors
que les Jeux asiatiques impliquent une plus grande liberté de mouvement et une
plus grande chance d’avoir affaire à des journalistes de nombreux pays.

 

Daily NK : Les athlètes peuvent-ils être
exclus de l’équipe pour des raisons de propagande ?

 

Transfuge : Les sessions sont
habituellement conduites par le ministère de l’Agitation et de la Propagande,
et il y a généralement des matériels d’études séparés. Tout ce que les athlètes
doivent faire, c’est de les maîtriser. D’habitude, ils s’entraînent dans la
journée et étudient la nuit, en cas d’inspection surprise. Chacun apprend tout
pour être certain de ne pas perdre sa place dans l’équipe. Par ailleurs, ils
sont habitués à se rappeler des Dix Principes (les Dix Principes du Parti pour
l’Établissement du Système d’Idéologie unique) dès leur plus jeune âge, donc il
n’y a en fait quasiment aucun cas dans lequel un athlète peut être exclu de son
équipe pour des questions de propagande. C’est plutôt ce qui a trait au songbun
(degré de loyauté et historique politique familial) qui pose le plus souvent
des problèmes.

 

Daily NK : Créent-ils délibérément des
problèmes, comme avec la question du terme Bukhan, en raison de cet
endoctrinement ?

 

Transfuge : Les personnes derrière cela
sont plutôt des agents spéciaux et non les athlètes. Si vous avez 100 personnes
en plus des sportifs, vous avez probablement de 30 à 40 vrais délégués, comme
les entraîneurs, et les 60 restants sont des agents du ministère de la Sécurité
d’État (MSE) et du bureau général de Reconnaissance (BGR).

 

Ces membres sont sélectionnés par leur
administration et sont en général ceux faisant preuve d’une loyauté
exemplaire. On raconte que l’on donne la priorité aux agents haut placés, qui
se mettent en quatre pour critiquer la Corée du Sud, de sorte qu’ils puissent
affirmer avoir réalisé des exploits.

 

Daily NK : Quels sont les mouvements
potentiels auxquels faire attention ?

 

Transfuge : Ils peuvent prétendre être
journalistes et essayer de critiquer la Corée du Sud. Si certains groupes se
laissent aller à dénoncer le Nord, ils vont se déchaîner contre le Sud, en affirmant
qu’il a laissé se développer ces critiques et que cela a des implications quant
à la sécurité des athlètes. Ils peuvent également dire que l’oppression
perpétrée par Séoul s’accroît en faisant référence au positionnement des forces
de police et de renseignement durant l’événement.

 

Ils peuvent aussi faire de la propagande en
affirmant que leur délégation a été accueillie par des groupes pro-Nord
« admirant notre Maréchal ». Tout ceci a probablement été préparé par
le ministère de l’Agitation et de la Propagande.

 

Daily NK : Quels sont les rôles
principaux de ces agents durant les jeux ?

 

Transfuge : Le MSE et le BGR ont des
rôles différents. Les agents du MSE surveilleront la délégation. Ils
surveilleront les entraîneurs et quiconque participe aux jeux, et dresseront
des comptes rendus chaque soir, en demandant aux membres de la délégation par
exemple « que pensez-vous de la Corée du Sud ? », « quelles
conversations avez-vous eue ? » et d’autres questions de ce genre.
Ils vont agir comme s’ils se trouvaient sur le territoire de l’ennemi et être
en alerte constante, contrôlant le comportement de chacun. La raison pour
laquelle ils vérifient ce que les athlètes disent aux Coréens du Sud et aux
étrangers est qu’ils veulent les préserver idéologiquement et car ils craignent
que les athlètes ne fassent état des défauts du Nord.

 

Le BRG, par contre, va se concentrer sur
l’étude de la société sud-coréenne. Depuis l’avion, ils vont observer les zones
côtières. Lors de leurs déplacements, ils vont observer l’état des
infrastructures, tels que les aéroports, les routes, les tunnels, et les
ports.